« I am the voice in the wind and the
pouring rain
« I am the voice of your hunger and
pain
« I am the voice that always is
calling you
« I am the voice, I will remain »
De sa voix diaphane et
quasiment aussi enrouée qu’une portière de vieille quatrelle mal graissée et
attaquée par la rouille, la tout aussi diaphane (euphémisme mondaine pour ne
pas dire rouquine fadasse) Eimear Quinn (la bien nommée) réussissait le prodige
de faire gagner pour la quatrième fois en cinq ans l’Irlande au Grand Concours Irlandovision
de la Chanson… Ce Grand Prix 1996 devait heureusement faire un flop dans les
hit-parades, notamment en France, le public en ayant largement soupé de toutes
ces irlandaiseries vaguement celtiques qui depuis l’insupportable Riverdance
nous martyrisaient consciencieusement les oreilles…
Je suis la voix… Je resterai…
Je resterai dans ton oreille
comme un doux murmure, une chaude caresse, un sec reproche, un aveu déchirant
ou un ordre abrutissant…Ou pire encore, comme une chanson de Calogero…
Je suis la voix… La voix que
te chante, t’enchante, te charme, t’envoute, t’ensorcelle, te fait rêver, te
fait bander, te fait jouir, te fait regretter d’avoir repeint les rideaux en
crépi moucheté…
Je suis la voix du vent et
de la pluie battante, la voix chaude comme un simoun chauffé à blanc, la voix
glaciale comme un Frigidaire poussé à bloc ou Catherine Deneuve, la voix
lance-flammes d’un Hitler de pacotille, la voix apaise-douleur, comme une
triple épaisseur de Gaviscon dans votre œsophage en feu…
Je suis la voix de la faim
et de la peine, la voix gourmande d’un chroniqueur gastronomique qui frétille
des papilles au travers du micro… la voix alléchante qui résonne en votre for
intérieur à la lecture d’un menu d’un gourbi multi-étoilé… la voix de glas
sépulcral qui s’élève à l’oraison funèbre dans une église aussi gelée que vos
pieds dans vos godasses et vos yeux baignés de larmes à la limite de la
cristallisation…
Je suis la voix qui t’appellera
toujours… la voix intérieure qui vous poussera à reprendre du plum-pudding aux
noix de pécan caramélisées pour la troisième fois de la soirée… la voix
melliflue qui vous incitera à prendre ce putain de bordel de pompe à cul de
raccourci de mes deux qui vous fera perdre deux heures et la quantité d’essence
nécessaire pour parcourir quarante kilomètres supplémentaires…
La voix qui vous titille les
oreilles le matin, lorsque vos paupières sont aussi lourdes que des pachydermes
obèses et que vous feriez n’importe quoi pour ne pas entendre l’abominable
mécanisme sonneur qui glapit des nouvelles, des réclames ou des conneries (les
dernières n’étant généralement que peu éloignées des deux premières)…
Les voix de radio ont cet
avantage que vous avez tout loisir pour leur associer le physique qui vous sied…
Egalement celui de vous suivre quasiment partout… De vous réveiller le matin,
de vous border le soir en vous accompagnant paisiblement ou en vous flanquant
un grand coup dans le derche vers les bras de Morphée…
Ce serait vain de faire ici
l’inventaire des voix radiophoniques mythiques, et ce n’est pas un vendredi
soir que je vais m’y coller, sous peine de vous coller un 43 fillette sur les
contours charnus de votre meilleur profil…
Il en est une qui m’a
quelque temps accompagné avant le dodo… Parce que son émission commençait au
moment où j’éteignais la lumière… La voix de plus en plus rocailleuse de Macha
Béranger résonne encore dans mes oreilles parfois, et c’est toujours ça de
pris, parce qu’avoir sa binette dansant devant les yeux… c’est un coup à
vouloir imiter Gilbert Montagné !
Je ne sais si j’aime toutes
les voix féminines rauques, la voix de mêlécasse d’une chauffeuse de taxi aussi
féminine que Steevy est le paradigme de la virilité et à la carrure de
déménageuse est-allemande n’éveille pas particulièrement des trésors de libido…
Pas plus que le filet suraigu d’une descendante de Laurence Badie ne me
poussera à pratiquer des étreintes humides et prolongées avec mes rideaux…
Mais ce matin, elle était là…
la voix… Inimitable, irremplaçable, immanquable… Atteinte par l’âge de sa
propriétaire, évidemment, quelque peu pâteuse quand on devine le dentier qui
veut se tailler des flûtes malgré la tartine de colle à dentier généreusement
appliquée… Mais intacte dans la gouaille, la diction tranchée aiguisée comme
des couperets, la concision…
Jujube était dans le poste
ce matin… Avec quasiment la même voix juvénile qui chantait dans les caves
enfumées de ce Saint Germain des Près d’après-guerre où il n’y avait pus d’après,
selon ses confidences… Avec la même insolence effrontée qui lui faisait
interpréter des couplets tels que « un monsieur aimait un jeune homme »…
Avec la même légèreté friponne que lorsqu’elle gazouillait « un petit
oiseau, un petit poisson »… Avec la même soudaine gravité nostalgique qui
faisait résonner « le mal du temps »…
Jujube se vendait sur Inter
pour sa tournée d’adieu… Et sa voix m’a scotché… La tonalité volontiers sépulcrale
de Belphégor était là, quand elle causait avec une stupéfiante simplicité et
néanmoins une acuité étonnante des soucis du moment… On devinait presque sa
moue lippue de plaisir quand elle évoquait son trac fou sur scène, toute de
noir vêtue tel un grand oiseau noir… On ressentait son respect, malgré ses 88
printemps, face à Brel, Brassens, Ferré, Gainsbourg…
Jujube est une interprète,
une vraie, une comme on n’en fera plus… Zaz, avec sa gueule de crasseuse
patentée et sa voix de crash-test au ralenti, peut toujours courir en nous
échauffant les oreilles avec ses navrantes rengaines parisiennes… Ça mériterait
d’être enfermée au Louvre, avec Jujube en Belphégor pour lui foutre la frousse…
L’ennui, c’est qu’elle est capable de nous chier un album alors…
Alors… Respect, et félicitations
pour votre voix, et le reste, Madame Juliette Gréco.
Et le 17 avril 1970, c’est
le retour heureux de la très médiatisée mission lunaire Apollo 13, suite à l’explosion
d’un réservoir d’oxygène, panne qui fut annoncée avec l'expression « Houston,
we've had a problem » (en français, « Houston, on a eu un
problème »), prononcée par Jack Swigert avec un calme fantastique. Le mot
est vite entré dans la culture américaine, mais sera déformé, puisqu’il est
surtout connu de nos jours sous la forme « Houston, we have a problem »
(« Houston, on a un problème »). Dit par Jujube, je vous garantis qu’il
n’y a plus de problème…
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