Le
petit matin blême est un poil frisquet et le soleil point timidement ses rayons
sur les toits de tuiles rouges encore mouillée de rosée. La ville s’éveille
doucement, comme un gros matou qui ronronne, et pourtant l’activité est déjà là.
Les bars répandent de la sciure fraîche, les primeurs déploient leurs étals en
exposant à tous vents leur asperge bien raide et leur concombre robuste, tandis
que les bouchers font reluire leur saucisse et les poissonniers montrent leur
raie à qui n’en veut.
Vous,
le trouillomètre au triple zéro, vous fixez la pointe de vos Kickers marron toutes
neuves avec la secrète volonté de les voir se clouer sur place, vous
immobilisant irrémédiablement et interdisant ainsi toute arrivée à destination,
au bout de cette rue, vers ce portail de fer peint en gris entrouvert où
s’engouffrent des mères trainant comme des boulets des gamins de votre âge,
généralement au bord des larmes et de la nausée, pas mécontentes de s’en
débarrasser le temps d’une demi-journée…
Vous
avez la trouille, faut bien le dire, une trouille indéfinissable et paralysante…
Et bien que ces fonctions naturelles aient été remplies voici dix minutes en
quittant l’appartement, vous avez tout à la fois envie de pipi, de caca, de
vomir et de faire demi-tour…
Et
pourtant… hier soir, assis en tailleur sur le dessus de lit en patchwork
multicolore, vous étiez fiers de mettre dans votre cartable Tann’s flambant
neuf la trousse tout aussi neuve et tout aussi Tann’s avec à l’intérieur un Bic
4-couleurs et une gomme qui sentait le bonbon avarié, les cahiers à petits
carreaux recouverts par les protège-cahiers multicolores et l’ardoise double
face à cerclage de bois… Vous étiez contents du sac à goûter vert militaire qui
allait sous peu renfermer choco-BN, pain au lait violé d’une barre de Milka
individuelle et banane qui imprimera pour plusieurs décennies sur le revêtement
lavable intérieur son odeur…
Le
portail de fer est franchi, et déjà vous cherchez la main de votre maman qui
vous fait un gros bisou tendre, pas plus rassurée que vous, ni que les bambins
qui batifolent dans la cour en piaillant comme de futurs poulets aux hormones ou
qui brament à s’en péter les cordes vocales, morve au nez et bulles sur les
commissures des lèvres. Un signe de la main sur le pas du portail et sa
silhouette en pantalon pattes d’eph’ et blouson de cuir marron s’efface…
Ne
niez pas, vous vous souvenez tous certainement d’à peu près les mêmes choses
lorsqu’on vous parle de rentrée des classes…
Vous
vous rappelez les bureaux à couvercles rabattables qui vous ont plus d’une fois
pincé les doigts en claquant intempestivement, ces bureaux au vernis craquelé
et avec les trous des encriers, témoins d’une génération où l’on écrivait
encore à la plume Sergent Major,
Vous
vous souvenez de l’odeur (et de la poussière) de la craie lorsque vous étiez
appelés au tableau, des lignes d’écriture où vous alignâtes des rangées de
majuscules, redoutant l’infaisable « K », des infâmes cabinets à la turque
sous le préau qui empestaient le désinfectant la première semaine pour
retrouver très vite leur fragrance ammoniaquée et émétique de pipi-caca, de l’invariable
odeur de poisson pané le vendredi midi, et les nouilles à l’eau trop cuites, des
aventures de Poucet qui vous apprendront à lire, de la blouse en pur synthétique
pour la peinture, des tubes de gouache Pébéo auxquels manquaient souvent le
bouchon…
Et
la séance hebdomadaire de télévision scolaire, assis en tailleur devant l’antédiluvien
téléviseur noir et blanc, qui avait dû transmettre la première télé de Zitrone
et le couronnement de la Reine Fabiola…
Aujourd’hui,
nos chères têtes blondes, brunes, rousses et autres reprennent le chemin des
classes où des enseignants de gauche (pléonasme) tenteront de leur inculquer
les bases du savoir, une tâche ardue, il ne faut pas se le cacher… Et ces
chères têtes blondes, brunes, rousses et autres nous feront quelque part
revivre nos propres rentrées des classes…
Un
conseil, ne regardez pas la grand-messe du vingt-heures ce soir ; à moins
d’être porté sur le plaisir sadique et de vous pogner le spaghetti à mayonnaise
sous pression en visionnant les habituels marronniers de la rentrée des classes :
les effectifs trop importants et les refus de création de nouvelles classes,
les moutards bramant des litres de larmes et gueulant comme des sirènes d’alerte
à la grande époque de la Kommandantur, les mères à cheveux gras et verbe
hésitant, témoin d’une culture téléréalistique, grognant les conditions d’accueil
de leurs tétards à hublots, et l’incontournable chipie blonde à couettes qui
braille à 120 dB dans le micro…
C’est qu’il
faut remplir coco ! C’est qu’on a pas tous les jours une catastrophe
aérienne, un attentat de Daesh ou la mort d’une célébrité pour tenir la tête du
vingt heures… Il ne tombe pas un DSK à moitié à poil et la goutte au gland dans
une chambre de Sofitel tout rôti dans l’escarcelle toutes les semaines… On peut
prier Saint-Elkabbach du Scoop de la Mort qui Tue avec trois douzaines de
cierges pascaux modèle « Jeux Gourmands à la Fistinière » avant de
dégoter un Cas Huzac, les yeux dans les yeux et le pognon dans le compte
helvète…
C’est roupie
de sansonnet souffreteux que la dépêche selon laquelle le pot à tabac du
Beffroi s’est ruiné un Sloggi quadruple XL en apprenant la démission de Manu
Macaron, le trombineur de la trisaïeule à Dalida. Contente qu’il gicle (enfin,
façon de parler) parce qu’il ne lui avait pas fait d’avances, le sulfateur de
dindons racornis ? Qu’elle soit au contraire ravie, Titine Aubry, c’est qu’elle
est quelque part encore consommable. Manu Macaron, c’est comme Amélie Nothomb,
il n’aime que les trucs pourris…
Que
vouliez-vous qu’on fasse, à part une brève en résumé de l’intention de Bruno Le
Marie, s’il est élu à l’Elysée, de supprimer l’ENA ? Triple obstacle :
Bruno Le Maire, inconnu au bataillon, il ne fait pas bander la ménagère
quarantenaire ; son élection comme Président, autant demander à ce qu’il
pleuve du Pétrus 1949 ; la suppression de l’ENA, impossible de virer une
telle fabrique d’incapables…
Et ne comptez
pas faire de l’audience et plus de quinze secondes avec le recrutement d’une
nouvelle Miss Météo sur France Info, en la personne de Claire Chazal, qui peine
à recycler sa perruque blonde dégueulasse depuis qu’elle s’est faite virer de
la première…
Si les nouvelles
du jour vous ont trop atomisé le moral, remontez le temps et visionnez donc un
chef d’œuvre du cinéma français, « Le Voyage dans la Lune » de
Georges Méliès, sorti le 1er septembre 1902 au théâtre Robert Houdin
à Paris. Rassurez-vous c’est très propre, ce n’est pas le récit des mémoires de
Chazot…
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