Me donnerait-on un jour la possibilité de me réincarner
que j’ai déjà une idée derrière la tête… Je me verrais bien dans le Paris des
années 1950-1960, écumant les cabarets qui à l’époque vivaient encore leur âge
d’or… Non, je ne m’imagine pas en poivrot notoire… Mais plutôt en chansonnier,
après les délicieux commentaires qui ont été portés à mon endroit suite à la
chronique d’hier… Et aussi parce que j’ai été le témoin involontaire d’une
conversation entre M’âme Jeanssen et M’âme Sauzède ce matin même…
-
Dites voir, M’âme Jeanssen, vous avez entendu le raffut de tous les diables
qu’ils ont fait dans l’immeuble hier soir ? Si c’est pas malheureux de
voir des choses pareilles…
-
Non mais si ca continue, ça finira pas, au train où vont les choses, il va finir
par dépasser les bornes de limites, le dégarni du second…
-
Toute la soirée à écouter des machins qu’on entend plus qu’avec un gramophone à
rouleau…
-
C’est ça oui, exagérez encore un peu et vous me direz qu’il écoutait des
disques en silex avec un saphir en corne de mammouth…
-
Ah ben non quand même pas… Mais c’était quand même bien d’entendre ces voix
oubliées…
-
Ah ça, j’dois dire c’qu’y est… ça m’a replongé dans ma jeunesse quand mon
Raymond m’avait emmené en voyage à Paris après qu’il ait eu gagné le dixième à
la Loterie Nationale… On était allé à la Tête de l’Art écouter…. Comment c’est
qu’il s’appelait déjà… Ah oui ! Jacques Bodoin ! Vous savez, celui
qui mettait en scène son fils Philibert…
-
Ah voui, je me souviens, c’était le bon temps où les chansonniers avaient
quelque chose d’intelligent à dire… Tandis que de nos jours… C’est quand ils se
taisent qu’ils ont l’air le plus intelligent…
Vous
avez raison, mesdames, la veine des chansonniers s’est irrémédiablement tarie,
et les quelques amuseurs qui de nos jours tentent de perpétrer cette tradition
font pâle figure en comparaison de leurs illustres ainés…
Sans
doute n’allez-vous pas connaître la majorité des noms qui vont être cités, mais
je ne saurais que trop vous conseiller d’aller fureter sur le net pour écouter
certains de leurs sketches ; vous constaterez qu’à l’époque, on ne riait
pas aussi bêtement que de nos jours. Enfin, si vous les comprenez…
Evidemment,
vous trouverez ça daté, vieillot, ringard… Mais si vous êtes honnêtes, vous
conviendrez que cela pouvait être très grivois sans être vulgaire… En ces
temps-là, on pouvait très bien parler de cul en ne parlant que de la fesse…
Un
des spécialistes des histoires salées (qui étaient à l’époque « interdites
au moins de dix-huit ans » comme le rappellent les pochettes de disque)
était Jean Rigaux, qui émaillait ses interventions d’onomatopées diverses et de
bruits incongrus… Ah il est bien oublié des générations actuelles !
Oubliée
aussi Anne-Marie Carrière, une des rares femmes à avoir percé dans ce milieu
très masculin, et qui régalait son auditoire de monologues en alexandrins
pertinents et percutants. Elle fut également un des piliers du Francophonissime
où elle représentait Télé Luxembourg…
Oublié
les Pierre-Jean Vaillard et ses portraits acides égrenés d’une voix
pédante ; les Raymond Souplex qui avant de rencontrer la gloire dans le
rôle de l’Inspecteur Bourrel des Cinq Dernières Minutes fit une brillante
carrière au cabaret ; les Jacques Grello et Robert Rocca qui animèrent la
Boîte à Sel sur la RTF ; les Pierre Doris et son chapelet d’histoires
salaces et cruelles ; les Roger Nicolas et son « écoute,
écoute » niaiseux…
Remisés
aux oubliettes les Frères Ennemis et leur délicieux sens de l’absurde ;
les Jean Valton et ses inamovibles imitations pas toujours très drôles ;
les Christian Méry et ses histoires corses ; les Pierre Dac et ses petites
annonces au non-sens irremplaçables…
N’ont
survécu à ces années dorées que de vénérables vestiges tels Jean Amadou à la
plume mordante, Jacques Mailhot ou encore Bernard Mabille qui a offert à
Thierry Le Luron quelques sketches inoubliables…
La
relève ? Canteloup est le meilleur prétendant au trône avec des textes qui
évitent la plupart du temps la vulgarité gratuite, secondé par Ruquier qui se
disperse un peu trop en gaudrioles radiophoniques de plus en plus brouillonnes
et de moins en moins frappées au coin de la finesse… Dommage que Gerra, au
demeurant brillant imitateur, se soit laissé entraîner sur la pente du
prout-prout scatologique par des auteurs peu distingués…
Ecoutez
donc « La table de multiplication », « La panse de brebis
farcie » de jacques Bodoin, le « Nocturne » de Pierre Dac,
l’intégrale des Frères Ennemis, et vous découvrirez le moyen de ne pas rire
idiot…
Heureusement,
au fil de rencontres facebookiennes, on peut s’apercevoir que cet esprit n’est
pas complètement mort, notamment quand on arrive à lire que « réussir aux
USA, c’est avoir la bonne idée au bon moment ; alors qu’en France, c’est
sucer la bonne bite au bon moment »…
Certes,
l’actualité ne se prête pas toujours à ce genre de pirouettes… Et honnêtement,
que la pouffe de Nasri pète un plomb parce que cette connasse en short n’a pas
été sélectionnée pour partir au Brésil, franchement on samba les couilles… Au
moins de cette manière ne sera-t-elle pas cocue…
Réconfortons-nous
au pied de ce week-end en lisant les confidences des ex-ministres de Flamby qui
balancent fort peu élégamment sur le locataire de l’Elysée… Avec des amis comme
ça… pas besoin d’ennemis !
On
pourra aussi s’intéresser aux derniers potins du Festival de Connes, si vous
n’êtes pas déjà complètement saturés du déversement d’infos sur les projections
(autant celles faites sur les grands écrans que celles réalisées dans les
chambres de bonnes, sur la moquette ou au fond de la piscine)… Quel dramatique
non-événement en fait, avec ces remous frissonnants sur le film consacré à la
Princesse Grace et les kilomètres de pellicule gâchée pour des starlettes dont
on aura oublié le nom dès demain…
Non,
franchement rien de tel qu’un bon bouquin si tant est que Marc Lévy ou Amélie
Nothomb n’aient rien publié récemment, un bon vieux DVD d’un De Funès survolté,
ou une soirée entre amis auprès d’un feu de cheminée…
Et
le 16 mai 1968, c’est le début de l'occupation du Théâtre de l'Odéon en accord
avec son directeur, Jean-Louis Barrault qui, et cela est véridique, offrait des
sandwiches au Canigou aux étudiants… il a arrêté le jour où ils commençaient à
remuer la queue en ouvrant la boite… Merci cher Pierre-Jean Vaillard d’avoir
fixé sur disque ce point de l’histoire !
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