On était si bien, ce vendredi treize…
Bien calé sur le fume-pipe près de la cheminée qui
crépitait en distillant une assoupissante torpeur, la télé qui égrenait ses
débilités vespérales en fond d’écran, son coupé, laissant place au bonheur
simple d’être ensemble dans cette maison cévenole qui avait abrité nos joies et
nos peines familiales depuis un demi-siècle…
La vie s’écoulait tranquille, bercés par le tic-tac de
la pendule… Jusqu’à ce que ma mère, en décidant d’aller se coucher et d’éteindre
le téléviseur, ne le mette par automatisme sur la chaîne réservée à BFMTV…
Les infos parcellaires et floues se précisaient peu à
peu, au fur et à mesure que les minutes s’égrenaient et que l’incrédulité
effarée grimpaient dans nos esprits…
Tout montait… Sauf les larmes.
Car mes larmes ne devaient pas couler.
Et mes larmes ne coulèrent pas.
Puisque que c’aurait été faire trop d’honneur à ces
sombres crétins venus d’un autre âge qui s’imaginaient mettre notre pays à leur
botte en faisant exploser des kamikazes dans la ville lumière ; mes larmes
ne coulèrent pas.
Puisque que les cent-trente victimes de ce fanatisme
irréel et ignoble n’auraient eu que faire de mes larmes, qu’elles soient de
crocodiles ou chaudement sincères ; mes larmes ne coulèrent pas.
Puisque que désormais, nous vivons avec cette menace
terroriste depuis de longs mois, et pour encore de longues années avant que
nous n’en soyons définitivement débarrassés, et que pour y faire face et s’y
préparer, il convient plus que jamais d’avoir la vue claire et l’esprit
net ; mes larmes ne coulèrent pas.
Puisque que le pire est encore devant nous, qu’il ne
faut pas se voiler la face, qu’il y aura d’autres attaques pareilles à celle du
Bataclan, d’autres égorgements de victimes, d’autres vies fauchées par la
connerie intégrale d’australopithèques incultes, d’autres attaques contre
l’unité de mon pays et qu’il est inutile de jouer les pleureuses ; mes
larmes ne coulèrent pas.
Puisque que si nous ne pouvons rien, ou si peu, à
titre individuel, contre cette barbarie invisible que des enturbannés qui
s’imaginent détenir la toute-puissance et la vérité divine nous imposent depuis
au moins deux ans, nous continuons à vivre et à les narguer insolemment, mais
prudemment ; mes larmes ne coulèrent pas.
Puisque que la vie devait continuer, que les visages
de ceux qui sont tombés injustement devaient nous inciter à vivre encore plus
fort en un pied de nez magnifique, et désespéré, face à ces insondables
connards de la bêtise universelle, qu’hélas la marche, folle, du monde ne
s’arrêterait pas ; mes larmes ne coulèrent pas.
Puisque qu’il fallut bien se souvenir que dans
kalache, il y a lâche, que ce début de tempête meurtrière était organisée par
des incultes qui n’ont rien retenu des versets clairs et net du Coran qui
refuse toute violence et qu’ils ne méritent toujours pas les bombes qui, j’espère,
les enverront ailleurs où les soixante-dix vierges les enverront se faire
foutre ; mes larmes ne coulèrent pas.
Puisque que la réponse mondiale à ces actes barbares,
que je vous laisse la liberté d’appeler ou non actes de guerre, fut
époustouflante, et dépassa presque la ferveur nationale, que cette ribambelle
de monuments éclairés de bleu-blanc-rouge fut poignante et qu’il convenait face
à ça d’être digne ; mes larmes ne coulèrent pas.
Puisque qu’encore aujourd’hui la colère gronde, la
révolte point, l’incompréhension cède la place à l’inamovible envie de vivre dans
un monde débarrassé de tous les fâcheux (pour les amateurs de téléréalité,
traduire connards intégraux, casse-couilles patentés, et empêcheurs d’enculer
en rond), la volonté de barrer nos visages choqués d’une insolence
gauloise ; mes larmes ne coulèrent pas.
Puisque que je n’ai pas regardé et ne regarderai pas
les visages des victimes, estimant que le voyeurisme a ses limites, qu’il n’est
nul besoin de rajouter de l’affliction à la meurtrissure intérieure qui saigne
en chacun de nous, et que la dignité doit s’imposer et perdurer ; mes
larmes ne coulèrent pas.
Puisque que la vie continuera, puisque que Paris
flotte mais ne sombre pas, puisque que la France semble savoir faire face
malgré les hiératiques errements de la prolongation de l’état d’urgence, puisque
que la peur ne doit toujours pas s’enraciner en nos cœurs et nos esprits, puisque
que « ça ira mieux demain » comme le chantait Annie Cordy (enfin,
espérons-le de toutes nos forces) ; mes larmes ne coulèrent pas.
Puisque depuis ce funeste vendredi treize qui démontra
que les histoires de chat noir, de tirage miraculeux du Loto et de Freddy ne
sont que des fabulettes pour tapettes émotives, le sang coula encore à flots
sans cesse renouvelés aux quatre coins de la planète en prouvant que l’exception
terroriste et culturelle française est une foutaise authentique ; mes
larmes ne coulèrent pas.
Puisque que la lumière de l’espoir, la flamme de la
résistance commença à briller aux balcons dès le 14 novembre 2015, qu’elle devait
s’amplifier sans cesse pour donner au final un immense feu de joie qui
carbonisera la haine, l’obscurantisme, la débilité à l’état pur et tous les
sombres connards qui veulent réécrire l’histoire ; mes larmes ne coulèrent
pas.
En tous cas, pas à l’extérieur…
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