Qu’elle me semble éloignée, cette époque où la
télévision française cherchait à éduquer les masses, ou à marquer les esprits
par des images que l’on pouvait juger choquantes… Les générations dont les
tempes grisonnent, le ventre bedonne et la calvitie progresse se souviendront
fort aisément de plusieurs programmes qui les ont durablement marqués, en bien
ou en mal.
Les causeries télévisées d’Alain Decaux, en direct,
sans notes et sans filet ; les interminables Grand Echiquier de Jacques
Titube (ou Chancel, je ne sais plus) où se mêlaient de grosses dames qui
criaient fort, des pianistes en queue de pie qui tentaient par tous les moyens
de déglinguer leur instrument en lui assénant des coups de plus en plus
violents et impulsifs, des chansonniers qui faisaient sonner les mots comme du
Cristal de Bohème et des artistes qui en avaient sous la moumoutte et dans le
slip ; les causeries en forme d’Apostrophes où des écrivains avinés, veste
cradingue et dont on devinait au travers de l’écran qu’ils avaient une haleine
à décoller le papier-peint, discourait de leurs exploits littéraires et
s’emportaient face aux piques culturées de l’animateur…
Mais aussi les effrayants spots de prévention de la
Sécurité Routière pour le port de la ceinture de sécurité (qui n’a jamais eu la
frousse de monter dans une 504 avec un bonnet en laine bleu-marine ?), ou
les non moins glaçants reportages des actualités télévisées sur les accidents
de la route où les reporters de l’époque n’hésitaient pas à montrer les corps
sans vie dans les amas de tôle…
De nos jours, heureusement, les choses ne se passent
plus ainsi… La télévision a depuis une dizaine d’années une très sainte horreur
des images choquantes, des situations déplacées et récits scabreux, et il ne
viendrait à l’esprit d’aucun journaliste digne de son nom et de sa carte de
presse d’aller vous faire toucher du doigt la merde dans la couche du vieux
qu’on a balancé dans la benne à ordures pour lui piquer sa maigre retraite, de
vous coller le nez dans le réduit où une jeune femme s’est faite violer à
quarante-six reprise en douze heures pour vous faire humer les odeurs légères
et printanières qui s’en dégagent, ou de vous imposer le récit larmoyant et
dans un français approximatif du djeun qui a vu son pote se noyer sous ses yeux
mais qui a préféré filmer la scène avec son portable pour faire le buzz sur
youtube plutôt que d’appeler les secours…
C’est plus vicieux que ça, et au final encore plus dégueulasse…
Nos
chaînes d’information continue, BFMTV et CNews pour ne pas les nommer, vu que
LCI et France Info ont à peu près autant de téléspectateurs que Jul a de
public, ont en prenant de l’âge su comment manipuler l’opinion et en usent avec
une délectation irrépressible…
On
ne montre plus, ou quasiment plus…On suggère… on inspire, on insinue, on laisse
entendre… Dans le cas du binouzovirus, où l’on vous offre une mort subite pour
deux Corona achetées, BFMTV a joué la Voix de son Maître avec encore plus d’application
que les Monsieur Glandu sous l’Occupation… On vous matraque à intervalles
réguliers les statistiques officielles ou prétendues telles, et l’on rajoute
incessamment une couche avec des déclarations plus ou moins fumeuses de témoins
qu’on a bien priés de prendre l’air effrayés avant d’enregistrer…
Alors
maintenant, avec l’annonce de l’OMS selon laquelle le binouzovirus est une
pandémie, on va nous beurrer la raie pendant la soirée entière… Alors qu’il est
normal de parler de pandémie puisque ça s’étend sur toute la Terre…
Allez,
on stresse un bon coup, on panique juste ce qu’il faut pour se ruer sur les
stocks alimentaires… Fallait aller au supermarché ces derniers jours… On se
serait cru en pleine guerre ! Plus de pâtes, pas un grain de riz, pas un
carré de papier cul. Etonnant que nos compatriotes ne se soient pas rués sur l’essence…
Alors
que ces blaireaux au comportement moutonnier feraient mieux de réapprendre à se
laver correctement les mains et éternuer comme il se doit…
Soyez
prudents, évidemment, mais surtout, sachez éteindre la télé de temps à autre !
Ah,
on se marrerait sec si la grande épidémie grippe espagnole de 1918, qui avait
décimé des millions de personnes, se déroulait de nos jours… Avec la couverture
médiatique et les réseaux sociaux, tout porte à croire qu’on se serait déjà
tous entretués…
Mais
rassurez-vous, bonnes gens ! Manu va parler demain soir… Pour nous
annoncer le passage en phase 3, visiblement. Allez, réjouissez-vous !
Et
surtout, soyez en masse devant votre téléviseur demain pour vous délecter de la
parole divine de Manu… Nul doute que vous en serez tout électrisés…
Tout comme le 11 mars 1978, la France fut
électrisée à l'annonce de la mort du plus électrique de ses artistes, un
zébulon survolté qui a succombé à sa manie de l'ordre et à un coup de jus :
Claude François rejoint la légende à 39 ans... Après lui, le lundi au soleil
n'aura plus vraiment la même saveur...

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